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RÉFLEXIONS SUITE À UNE RÉSIDENCE D’ARTISTE DANS UNE ÉCOLE  D’ART D’ÉLITE À MONTRÉAL

Pourquoi entamer une résidence artistique? Pour plusieurs, c’est en raison d’un projet concret à développer, car une résidence d’artiste offre un lieu, une période de temps et des ressources pour voir à l’aboutissement de ce projet. Mais, faut-il toujours avoir un projet concret en chantier pour entamer une résidence d’artiste? Ou suffit-il d’être dévoué envers une discipline artistique et d’avoir la volonté de non seulement continuer à y contribuer, mais aussi d’y améliorer nos contributions? Reste qu’une résidence d’artiste offre un lieu pour se perfectionner, qui souvent n’est pas le nôtre. Reste qu’une résidence d’artiste nécessite un désir profond de créer ainsi que des antécédents dans ce domaine. Reste qu’une résidence d’artiste permet un échange et un dialogue dans un environnement et avec des gens qui ne sont pas familiers. Ceci, inévitablement, engendre un bouleversement; c’est ainsi quand on se permet des rencontres avec l’inconnu. Si les outils et les ressources nécessaires viennent s’y ajouter, il en résulte que l’ensemble de cette expérience devient un catalyseur pour que l’artiste crée et s’améliore dans sa capacité de créateur.

 

C’est dans cette ambiance et avec cette réalisation que j’ai passé trois semaines submergé dans la réalité de l’École nationale de théâtre (ÉNT), à Montréal, ainsi que dans la scène artistique de cette ville. Le directeur de la division française de l’ENT, Frédéric Dubois, est cité comme suit :

 

«Une école d’art, c’est une école d’élite. »

 

Cette affirmation est à la fois motivante et intimidante. Comment un artiste issu  d’un environnement théâtral francophone au Manitoba peut-il s’intégrer dans une école d’art d’élite à Montréal? Serais-je à la hauteur de la tâche, comme les autres étudiants? Quand on parle d’élite dans les arts, ce n’est pas nécessairement sous l’optique de la comparaison, mais plutôt sous celle de la capacité à contribuer et à prendre sa place dans une équipe qui existe dans une sphère artistique d’élite. Lorsque je songeais à mes contributions possibles, j’étais humblement conscient du fait que l’ENT se trouve à Montréal, soit « la Mecque » de l’art francophone au Canada, et que l’ENT vise à être une école d’art nationale, où les réalités canadiennes doivent y être également représentées. Ainsi, il est fort probable que je me ferai comprendre. Surtout que M. Dubois, en plus d’avoir déclaré le statu d’élite des écoles d’art, est aussi réputé d’avoir affirmé que :

 

« […]ça peut sembler contrintuitif pour une école, mais moi j’appelle tous les jeunes qui veulent étudier chez nous : Venez! C’est en fait à vous de nous apprendre comment faire du théâtre! »

 

Sous cette optique, j’étais venu pour apprendre, mais aussi pour faire apprendre, ce qui me semble parfaitement naturel car c’est en dialoguant et en contribuant que l’on crée.

 

Lors de ma première journée, je m’étais rendu à l’école à pied en montant la rue iconique St-Denis. Sur ma route, j’ai vu ces mots peints sur le murs d’un édifice :

 

Ce n’était qu’un orage.

Ce n’était qu’une cage.

Tu rependras ta course.

Tu iras à la source.

Tu boiras tout le ciel.

Ouvre les ailes.

Liberté. Liberté. Liberté.

 

Ce texte a retenu mon attention, tout d’abord parce qu’il pleuvait et neigeait ce jour-là, une tempête typique de mars. Puis, chaque jour, quand je passais devant cette muraille, je réfléchissais à ce que ces paroles signifiaient pour moi. Alternant mes réflexions sur le concept de ce qu’est une cage ou bien un orage, ou bien encore sur ce que ça veut dire d’« aller à la source », si seulement pour ouvrir les ailes et gober tout le ciel. N’était-ce pas ce que je faisais présentement en résidence d’artiste? Je vivais un temps d’orage, choisissant une cage (voir une boîte noire). Ma source, une école d’art d’élite où j’apprendrai comment voler de mes propres ailes afin de conquérir avec confiance tout le « ciel », c’est-à-dire tout ce que le vaste monde du théâtre francophone a à offrir. Autrement dit, comme artiste, je me sentais complètement libre, libre d’aller là oùl’envie m’emportait. Mais pour être libre, il faut d’abord apprivoiser sa cage et subir l’orage.

 

Mes journées étaient remplies de Molière et de Racine, ainsi que de l’effort d’apprendre un français neutre, ou standard, par des jeunes qui rêvent de faire métier à Montréal et à Paris où ils monteraient sur les planchent de théâtres où était parue la Bolduc. Mais qui dit Montréal et Paris doit aussi comprendre l’art contemporain.

La coincidence voulait que ma résidence chevauche celle de Dillon Orr, un écrivain et metteur en scène ontarien. Il entamait le dernier quart d’une année complète de résidence à l’ÉNT. Nos horaires similaires nous ont permi de dialoguer sur nos expériences et nos observations. Un blogue rédigé par M. Orr a attiré mon attention, dont ce passage en particulier :

 

« Pour ma part, en tant qu’artiste de la scène, je suis profondément ancré en Ontario français et j’ai le devoir de contribuer activement à cette culture, à ma culture. Il s’agit d’un milieu professionnel en situation linguistique minoritaire, ce qui implique que la valeur du geste artistique proposé importe peu; le fait même d’agir en français est un acte politique en soit. »

 

Ce n’était pas la première fois que j’entendais des propos de ce genre, mais il y avait quelque chose de particulier qui résonnait en moi en lisant ces mots à un moment où j’étais loin de chez moi. Pour Dillon et moi, issue d’un milieu francophone minoritaire, le simple fait de faire du théâtre en français peut être vu comme un geste politique, un geste motivé. Ce n’est pas l’unique motivaiton, mais c’est un filtre qui demeure. Chez les étudiants en interprétation à l’ÉNT, les origine sont québécoise et française, se voit-ils et elles partagaient cette perspective de communauté linguistique minoritaire? Ou est-ce qu’ils-elles se voient oeuvrer a Montréal, a Paris, dans un context de la majorité. Le théâtre francophone au Canada est-elle autre que celui de Montréal et de Paris? Il est important que les résidences d’artiste permettent justement aux artistes comme Dillon et moi de faire partie de la conversation pour que celle-ci contribue à l’éducation reçue à l’ÉNT. Ainsi, j’ai réfléchi à ce que je pouvais contribuer lors de mon séjour. Donner pour recevoir. Donner par respect. Donner pour faire partie d’une école d’art d’élite qui a de la valeur à l’échelle nationale.

 

J’ai donc décidé de présenter une pièce de théâtre que j’ai écrite, intitulée « Inédit ». La pièce, ancrée dans la réalité manitobaine, est rédigée dans un français communément parlé dans cette région du Canada. La lecture de ma pièce par des étudiants en interprétation a pris forme dans une salle de classe. Les étudiants ont eu l’occasion de se mettre en bouche un français qui est typiquement manitobain, mais aussi de se familiariser avec un contexte de références qui leur sont presque familières, celui du Canada français hors Québec et hors de la France. Il en résulte que ces jeunes ont vécu une expérience qui a élargi leur perspective en tant qu’artiste national. De plus, l’expérience a laissé place à un dialogue entre eux et moi, qui m’a permis de répondre aux questions suivantes : à savoir si la pièce avait de la valeur à l’extérieur d’un contexte manitobain et si des artistes d’élite pouvaient facilement s’adapter à la langue et au rythme de la pièce. La réponse à ces deux questions étaient bien « oui ».

 

Dans l’un des cours d’interprétation que j’ai suivi, le professeur et comédien professionnel Frédéric Blanchette a expliqué sa démarche en tant que comédien. Quand il travaille un texte, il cherche à comprendre ce qui se passe au-delà des mots : il tente de plaquer au personnage une intention, souvent une idée de ce que celui-ci veut de la situation. Savoir ce qui occupe les pensées d’un personnage c’est comprendre ce qu’il dit, comment il le dit, pourquoi il bouge. Toute personne a une idée, un désir, une intention qui existe derrières nos paroles (répliques) et nos actions (mouvements).

Et moi, qu’elle sont mes désirs, ma motivation de venir faire une résidence à l’ÉNT, et qu’est-ce que ca peut me dire de mon temps passé ici? Avant d’arriver à l’ÉNT, on m’a conseillé d’y aller sans attente et de garder l’esprit ouvert à ce qui allait m’être offert. J’ai accepté le défi, car ce conseil me semblait judicieux dans le contexte d’une résidence d’artiste. Ai-je réussi? Ou est-ce que je n’ai pus effacer des motivations pré-concus; le désir de vouloir jouer, de vouloir diriger, de vouloir faire valoir ma pièce… de me mesurer à l’élite nationale. Est-ce que mais motivations interne sont été révélé par mes répliques, par mes gestes? Si je fais du théâtre, je fais aussi du théâtre spontané, ou de l’improvisation. On dit souvent pour être bon improvisateur, il faut être à l’écoute, de l’autre mais aussi de soi. Pour être généreux, il faut écouter l’autre, mais il faut aussi lui offrir quelque chose en plus de devoir faire l’effort de réconcilier notre volonté et celle de l’autre, l’endroit où l’on se trouve et ce que l’auditoire comprend du tout. C’est ça le travail de l’artiste.

 

J’aime croire que c’est cette approche qui m’a inspiré pendant ma résidence à l’ÉNT : que j’ai su écouter, surtout ; que j’ai accepté que j’étais observateur avant tout, mais que j’avais quand même quelque chose à contribuer à certains moments, question de faire partie du groupe.

 

J’ai pu lire les paroles suivantes sur une affiche dans l’un des couloirs de l’ÉNT :

Je ne pense pas que l’objectif de mon séjour à l’ÉNT était de me réinventer totalement, de réapprendre à être artiste ou praticien de théâtre. Cependant, je peux confirmer que j’ai pris conscience de comment ça marche, comment ça respire, où se portent les regards, ce qui se dit, où ça bouge, où ça ne bouge pas. Il y a eu un bouleversement. J’ai cherché de la synchronicité. J’ai fait appel à toutes mes habiletées et à toute ma capacité d’écoute.

 

À ce moment, il importe peut-être de noter que je suis un artiste multidisciplinaire autodidacte. En tant que tel, c’est important pour moi d’être constamment ouvert aux possibilités de formation pour que je puisse évoluer et améliorer mes habiletés.Est-ce que je me sens comme un comédien d’élite après un séjour à l’ÉNT? Non, pas forcément, surtout que je n’adhère pas au concept d’élite dans le monde des arts, même si je comprends pourquoi l’on utilise cette expression. Tout de même, mon expérience à l’ÉNT m’a permis de découvrir que je suis capable de faire partie d’une équipe soit-disante d’élites, et d’y contribuer pleinement, peu importe son lieu d’origine.

 

Ce temps de résidence m’a permis d’accroître ma confiance, une confiance qui m’interpelle à agir comme artiste francophone issu d’une communauté linguistique minoritaire qui fait partie d’une scène nationale. Je me sens interpelé à agir, « to act », car je vois que faire du théâtre, c’est créer un dialogue avec un auditoire, un dialogue entre l’art et ses praticiens. Ceci n’est possible que dans l’art du théâtre, ce qui lui donne une richesse unique. C’est enivrant. C’est valorisant. Malgré tout, je ne sais pas si je comprends encore pleinement la « cage » théâtrale. Elle existe pour les artistes, mais aussi pour l’auditoire. Cependant, je commence à me rendre compte que nous avons tous nos « cages », et qu’elles sont différentes pour chacun de nous. Ma résidence d’artiste m’a permis d’en devenir conscient, et conséquemment, je n’ai plus peur de voler. Ainsi, peut-être n’en suis-je qu’au début de ma pleine liberté comme artiste.

 

Eric Plamondon

artiste

 

Photo d’entête : Britannicus, présenté par le Théâtre du Nouveau Monde.